• Viol ordinaire: Se réconcilier sur l'oreiller

    Viol ordinaire: Se réconcilier sur l'oreiller

    (article extrait du site http://ras-la-chatte.over-blog.com)

    Publié le 8 Décembre 2015

    Viol ordinaire: Se réconcilier sur l'oreiller

     

    Avec mon ex, des fois, le sexe, ça commençait dans le lit, pile au moment de se coucher. Et ça se passait un peu comme ça :

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    LUI : hey bébé, j'ai checké sur le calendrier, et je crois que c'est le moment de coucher ensemble. Selon le Guide des Couples Normaux, si on baise pas ce soir, ça veut dire qu'on s'aime pas. En plus, j'ai l'impression que mes potes font plus souvent du sexe que moi et du coup ma virilité et mon identité d'homme sont super en danger. Et puis j'ai lu quelque part que si je n'éjacule pas régulièrement dans un vagin, mes couilles vont sécher et tomber, et aussi, je risque de mourir d'une attaque de frustration. Du coup, là, je suis en train de te faire un câlin un peu hot pour te montrer que j'aimerais effectuer une interaction d'ordre sexuelle incluant un coït vaginal avec toi. Tu es partante ?

    MOI : mmh écoute là je t'avouerais que j'ai surtout envie de dormir, comme à chaque fois que je suis couchée dans un lit avec la lumière éteinte et que c'est le soir. Mais ça m'embêterait vraiment que tes potes pensent que je suis frigide ou que notre couple n'est pas normal. En plus, je pense que je t'aime et que du coup je devrais vouloir coucher avec toi ce soir. En même temps j'ai super envie de dormir, donc je suis un peu partagée. Donc ma réponse, c'est un peu, « mouais, bof, quoi ».

    LUI : ah, tu veux qu'on discute pendant les 8 prochaines heures sur « est-ce que c'est normal ou pas que tu ne ressentes pas le désir de coucher avec moi ce soir » ? Parce que quand je te propose une interaction sexuelle et que tu ne réponds pas de manière enthousiaste, ben ça me fait me poser plein de questions existentielles dont j'aimerais qu'on parle là maintenant tout de suite. Ou alors, si tu préfères, je peux bouder parce que je me sens délaissé. D'ailleurs je vais commencer à bouder, en fait, parce qu'en plus tout à l'heure tu m'as dit un truc qui m'a pas plu et je pensais que coucher avec toi ça aurait pu nous réconcilier.

    MOI : euh non attends avant de bouder. Là je check l'heure vite fait, et je me dis que vu que je bosse demain, il faudrait vraiment que je dorme le plus vite possible. Et c'est vrai que coucher ensemble, ça dure moins longtemps qu'une discussion, et c'est moins pénible que de te supporter quand tu boudes. En plus je me sens un peu coupable pour ce que je t'ai dit tout à l'heure. Du coup, allez, va pour le sexe.

    LUI : OK, super, me voilà soulagé. Je vais donc entamer une interaction à base de pénétration vaginale avec toi. Bon, j'avoue que ça me soulagerait encore plus si tu faisais semblant d'avoir envie.

    MOI : ouais mais en même temps j'ai pas envie. D'ailleurs, tu arriverais à finir vite, s'il te plaît ? Parce que là, je trouve pas ça super plaisant. C'est même un peu désagréable sur les bords.

    LUI : ben non, dans le Guide des Couples Normaux, ils disent qu'un bon rapport sexuel chouette, avec du plaisir partagé, ça dure au moins 10 minutes… Tu veux que je fasses des préliminaires en plus, comme ça tu ne pourras pas dire que tu n'as pas pris de plaisir, et du coup je pourrai me dire que je suis super balèze au pieu ?

    MOI : Euh, non merci pour les préliminaires. Ah bon, il dit ça le Guide des Couples Normaux ? Bon ben finalement je vais faire semblant de bien aimer alors, ça va peut-être me rassurer sur le fait que je suis normale. Et puis quand je fais semblant d'aimer, ça te fait jouir plus vite. Et parfois, j'arrive même à croire moi-même que j'aime vraiment ça et que j'avais vraiment envie.

    LUI : en effet, ça marche bien quand tu fais semblant que t'aimes ça, hein, petite coquine, haha. Voilà, j'ai fini.

    MOI : Cool, bon, ben bonne nuit alors.

    LUI : quoi, tu veux pas faire de câlins post-coït ? C'est pourtant la preuve qu'on vient de baiser uniquement parce qu'on se désire et qu'on s'aime ! Du coup, ça veut dire que tu ne m'aimes pas ?

    MOI : si, je t'aime, mais c'est juste que je ne me sens pas très bien. Je me sens un peu énervée, et puis aussi un peu genre humiliée, tu vois ? Du coup j'ai juste envie de te tourner le dos et de dormir. Mais en même temps, je sais pas trop si c'est normal que je me sente comme ça après qu'on ait baisé.

    LUI : si tu veux mon avis, c'est pas normal. Je pense que si tu m'aimais, tu devrais te sentir bien. Tu veux qu'on discute pendant les 8 prochaines heures sur « est-ce que c'est normal que tu ne te sentes pas bien après qu'on ait baisé » ? Je suis toujours chaud pour une longue discussion et en plus, je t'avoue que moi non plus, je ne me sens pas super. Je pensais que ces 10 minutes d’interaction coïtale me libéreraient d'un coup de toutes mes peurs par rapport à ma virilité, à notre couple et à ton amour pour moi, en plus de m'apporter le soulagement évident et instantané produit par le vidage de mes couilles. Mais en fait je suis pas du tout rassuré et j'ai besoin que tu me dises tous les trucs que j'ai envie d'entendre pour être vraiment rassuré.

    MOI : euh je sais pas si j'ai envie de parler. J'ai juste envie qu'on me laisse tranquille, en fait, et ça me saoule un peu que tu me culpabilises pour baiser ou pour parler alors que c'est juste pour rassurer ton ego. D'ailleurs, je me rendrai peut-être compte dans quelques années que quand je dis « mouais, bof » et que tu fais comme si j'avais dit « oh oui, j'ai trop envie », ben c'est du viol. Mais là tout de suite, je me dis que ça peut pas être du viol, vu que je te connais et que je te fais confiance, et que du coup, si c'était du viol, ça voudrait dire que je suis trop conne et que j'ai encore fait confiance à la mauvaise personne.

    LUI : pff, tu t'emballes trop avec tes délires féministe. C'est pas du tout du viol. Si c'était du viol, en plus, t'aurais pas fait semblant de bien aimer. Est-ce que je peux profiter de ce moment pour te rappeler que tu es la femme de ma vie, que je ferais tous les sacrifices du monde pour toi, et que si tu me quittais, je mourrais sûrement de chagrin dans d'atroces souffrances ?

    MOI : c'est vrai que tu fais bien de me le rappeler. J'ai de la chance, d'être avec un mec comme toi qui m'aime vraiment d'un amour puissant. On forme un super couple, on va super bien ensemble et on est mieux que tous les autres couples du monde. De toutes façons, je crois que je n'ai pas le choix, vu que personne d'autre ne va jamais m'aimer, vu comme je suis moche et nulle. Heureusement que tu es là pour m'expliquer que je ne ressens pas les bonnes émotions et pour me dicter ce que je suis censée ressentir et comment je suis censée agir.

    LUI : bah ouais, on a de la chance de s'être trouvés. Et c'est vrai qu'à part moi, tout le monde te trouve moche et nulle. Mais moi je te trouve géniale ! Et toi ? Tu arriverais à m'évaluer ton amour pour moi sur une échelle de 1 à 10 ?

    MOI : là maintenant ?

    LUI : oui, j'ai très envie d'entamer une discussion de 8 heures pour être totalement sûr que tu m'aimes, que tu as bien aimé coucher avec moi et que tu m'aimeras toujours. Comme ça je pourrai m'endormir sur mes deux oreilles, sans avoir à me remettre en question.

    MOI : euh… En fait finalement je suis d'accord pour un câlin post-coït. Même si je suis un peu en colère et que ça me donne envie de pleurer, mais c'est toujours mieux que de me taper une interminable discussion nocturne incluant possiblement des pleurs ou des claquages de porte. Et puis vu que je sais pas pourquoi je suis en colère et que j'ai envie de pleurer, et que le problème, ça doit sûrement être moi, je vais fermer ma gueule.

    LUI : Okay bébé, ça marche aussi.

    MOI : et après, on dort ?

    LUI : oui, après, on dort. Même si ça serait cool que tu acceptes de baiser à chaque fois que je pense qu'on devrait baiser, et que même la prochaine fois tu inities un coït.

    MOI : ok, promis, la prochaine fois, c'est mois qui initierai. Bonne nuit.

    J'ai retranscris en grosses lignes, hein, parce qu'à travers tout notre blabla, c'est surtout ça qu'on voulait dire.

    Et oui, en fait, c'était un viol. Un parmi tant d'autre. Puisque ni mon "mouais, bof", ni mon "fais vite", ni mon "j'aime pas ça", ni mon "je me sens pas bien après" n'ont été écoutés par mon partenaire. Qu'ils ont même carrément été niés.

    Du coup, moi non plus, je n'ai pas osé les écouter, les prendre au sérieux....

    Les limites sont toujours plus difficiles à poser avec celleux qu'on aime, celleux qui nous aiment, celleux en qui on a placé notre confiance, celleux qui ne PEUVENT pas nous trahir car sinon, notre monde s'écroule.

    En posant nos limites, nous avons peur de blesser celleux qui nous entourent, mais ne devrait-on pas justement apprendre à poser nos limites avec notre entourage, avec celleux que nous aimons, avec celleux que nous avons peur de blesser ?

    Les émotions ne mentent jamais. On a toujours raison de ressentir ce que l'on ressent. Au lieu de se demander si nous sommes légitimes de ressentir ces émotions, demandons-nous plutôt ce qu'elles essaient de nous dire… « J'ai pas envie » sera toujours une raison suffisante, alors, commençons par y croire nous-même, par légitimer, en nous-même, « j'ai pas envie ».

    Et quand nos émotions nous disent « il faut que cette personne ait envie sinon mon monde s'écroule », alors, surtout, écoutons-les et arrêtons-nous. Pourquoi notre monde s'écroulerait-il ? Pourquoi nous sentons-nous frustréE ou en colère face au refus de l'autre ? Qu'est-ce que ces sentiments disent sur nous ? Quels gros problèmes voulons-nous faire disparaître d'un coup de bite magique ?

    Est-ce que ça va vraiment les faire disparaître, où est-ce que cela va juste nous permettre de fermer les yeux, faisant payer à quelqu'unE d'autre le prix de notre propre déni ?

    Apprendre à écouter et respecter nos propres limites n'empêcheront jamais d'autres personnes de les transgresser quand même. Rien ne peut nous protéger à 100 % de recevoir des coups, mais nous pouvons apprendre à reconnaître qu'il s'agit bien de coups et non de caresses. Nous pouvons apprendre que c'est OK, d'avoir mal. Y compris avec nos proches. Surtout avec nos proches.

    Nous ne trahissons pas celleux que nous aimons lorsque nous essayons d'être honnêtes avec nous-mêmes. Je crois fermement qu'au contraire, nous leur rendons service en leur apprenant à nous respecter, car nous apprenons du même coup à les respecter.

    CertainEs ne supporteront peut-être pas de perdre le contrôle, certainEs paniqueront à l'idée d'interactions sans rapports de pouvoir… Mais d'autres auront enfin l'opportunité de mieux nous aimer, de nous aimer pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous prétendons être.

    En fait, ce sont celleux qui resteront.


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